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Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
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Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
L'histoire commence en 1878; l'auteur de ces lignes est alors âgé de 26 ans.
J’avais pensé qu’après l’examen de ma 2ème année de Doctorat, la soutenance de ma thèse de Doctorat et le concours de la magistrature, il serait bon d’avoir une détente physique et j’avais offert de suivre une période de 28 jours au 10ème régiment d’artillerie à Rennes. J’y étais arrivé depuis quelques jours seulement quand j’y reçu un télégramme officiel me confirmant ma nomination comme attaché de 1ère classe et m’invitant à me rendre le 1er septembre à Paris, au Ministère de la Justice sous secrétariat d’Etat.. L’autorité militaire me libéra immédiatement et je me préparai rapidement à ma nouvelle situation.
Le 1er septembre je me trouvai au Sous Secrétariat avec deux autres attachés : Mes fonctions étaient en réalité celles de secrétaire particulier de Mr Savary : je dépouillais chaque matin sa correspondance personnelle et, sur une grande feuille de papier formant chemise, je traçais trois colonnes. Dans la première j’écrivais le nom de l’expéditeur de la lettre et je résumais dans la seconde l’objet de la demande ; je remettais la chemise et les lettres au Chef du Cabinet qui me les rendait quand Mr Savary y avait indiqué la réponse ou les démarches à faire. Parmi ces démarches je me rappelle avoir eu à acheter des casques pour une compagnie de pompiers de la Manche, pour une autre des tambours et des clairons.
Un jour, parmi les lettres, j’en trouvai une, anonyme, ainsi conçue : « Masson, ton Directeur en personne, est un pédéraste, il se fera prendre un de ces jours et tu auras des ennuis ». Je transcrivis cette phrase dans la 2ème colonne et je trouvai dans la 3ème cette décision : « communiquer la lettre à Mr Masson ». Je me refusai à le faire et j’exposai au Chef du Cabinet, que c’était là une mission trop délicate pour un jeune homme qui attendait sa nomination de ce directeur. Mr Labadie Lagrave le comprit et s’en chargea.
J’avais à remplir des tâches plus juridiques et notamment des négociations avec le Bureau du Sceau. Je me souviens, sans doute parce qu’elle fut difficile et que le nom dont il s’agissait m’était inconnu jusque-là , de celle concernant des héritiers de François de Neufchateau, qui demandaient l’autorisation de porter ce nom. Elle se termina, je crois, par cette observation du chef de la Division du Sceau : « ces héritiers n’ont aucun droit à l’autorisation, mais le Ministre peut la donner si cela lui plait »
A suivre...
J’avais pensé qu’après l’examen de ma 2ème année de Doctorat, la soutenance de ma thèse de Doctorat et le concours de la magistrature, il serait bon d’avoir une détente physique et j’avais offert de suivre une période de 28 jours au 10ème régiment d’artillerie à Rennes. J’y étais arrivé depuis quelques jours seulement quand j’y reçu un télégramme officiel me confirmant ma nomination comme attaché de 1ère classe et m’invitant à me rendre le 1er septembre à Paris, au Ministère de la Justice sous secrétariat d’Etat.. L’autorité militaire me libéra immédiatement et je me préparai rapidement à ma nouvelle situation.
Le 1er septembre je me trouvai au Sous Secrétariat avec deux autres attachés : Mes fonctions étaient en réalité celles de secrétaire particulier de Mr Savary : je dépouillais chaque matin sa correspondance personnelle et, sur une grande feuille de papier formant chemise, je traçais trois colonnes. Dans la première j’écrivais le nom de l’expéditeur de la lettre et je résumais dans la seconde l’objet de la demande ; je remettais la chemise et les lettres au Chef du Cabinet qui me les rendait quand Mr Savary y avait indiqué la réponse ou les démarches à faire. Parmi ces démarches je me rappelle avoir eu à acheter des casques pour une compagnie de pompiers de la Manche, pour une autre des tambours et des clairons.
Un jour, parmi les lettres, j’en trouvai une, anonyme, ainsi conçue : « Masson, ton Directeur en personne, est un pédéraste, il se fera prendre un de ces jours et tu auras des ennuis ». Je transcrivis cette phrase dans la 2ème colonne et je trouvai dans la 3ème cette décision : « communiquer la lettre à Mr Masson ». Je me refusai à le faire et j’exposai au Chef du Cabinet, que c’était là une mission trop délicate pour un jeune homme qui attendait sa nomination de ce directeur. Mr Labadie Lagrave le comprit et s’en chargea.
J’avais à remplir des tâches plus juridiques et notamment des négociations avec le Bureau du Sceau. Je me souviens, sans doute parce qu’elle fut difficile et que le nom dont il s’agissait m’était inconnu jusque-là , de celle concernant des héritiers de François de Neufchateau, qui demandaient l’autorisation de porter ce nom. Elle se termina, je crois, par cette observation du chef de la Division du Sceau : « ces héritiers n’ont aucun droit à l’autorisation, mais le Ministre peut la donner si cela lui plait »
A suivre...
Dernière édition par Lupain le Ven 9 Déc 2016 - 9:24, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Personnellement je trouve tout ça très intéressant. Tu pourrais continuer le sujet avec tout ce qui te semble utile pour la compréhension de l'époque, de certains problèmes déjà existants, et qui touche à l'histoire.
Viendront lire ceux que ça intéresse page par page en fonction du temps de chacun.
Viendront lire ceux que ça intéresse page par page en fonction du temps de chacun.
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Je n'ai pas de connaissances particulières sur cette époque ! Je préfère livrer ce document brut, délesté des détails sans intérêt :
<< J’eu aussi à aller plusieurs fois à la Direction des Affaires civiles, pour activer la marche des cessions d’offices dans l’intérêt de clients de Mr Savary, ainsi qu’à la Direction des affaires criminelles pour des recours en grâce.
Lorsque ma tâche personnelle était remplie je partageais les autres occupations de mes deux collègues et j’assurais à mon tour le service de garde à l’heure du déjeuner, car nos heures de présence étaient fixées de 9 heures du matin à 5 heures du soir. Il y avait aussi avec nous un expéditionnaire des cadres du Ministère, quelque vieux gendelettre (poète je crois), qui réalisait parfaitement le type du rond de cuir de Courteline : il arrivait à 11 heures, mettait ses manches de lustrine, tisonnait son feu, taillait ses plumes d’oie et ses crayons et, cela fait, allait voir ses collègues de la Direction du Personnel ou de la Direction des Affaires criminelles qui se trouvaient dans le même bâtiment que le Sous Secrétariat ; il ne revenait que vers 2 ou 3 heures pour expédier les quelques lettres qu’il avait à copier, puis il recommençait à l’inverse ses opérations du matin et partait à 5 heures.
. Mes camarades avaient choisi comme pension un restaurant de la rue de Lille, fréquenté surtout par des officiers ; je déjeunais avec celui qui n’était pas de garde et nous dinions ensemble ; nous payions 200 francs par mois.
Au jour de l’an tout le personnel du Ministère fut présenté par le Sous Secrétaire d’Etat à Mr Dufaure, Garde des Sceaux. A cette occasion, nous reçûmes mes camarades et moi une gratification de 200 francs ; c’est la seule rémunération en argent que nous eûmes pendant notre passage au Ministère ; nous eûmes aussi, mais rarement, des places pour les théâtres ; je me rappelle avoir vu Sarah Bernhardt, jouer Zaïre en matinée à la Gaité ; c’était l’époque où l’on s’amusait à discuter la question de savoir si elle avait ou non de la poitrine et qu’une chute imprévue fit sortir ses seins de son corsage et amena les cris : « elle en a ».
A suivre
<< J’eu aussi à aller plusieurs fois à la Direction des Affaires civiles, pour activer la marche des cessions d’offices dans l’intérêt de clients de Mr Savary, ainsi qu’à la Direction des affaires criminelles pour des recours en grâce.
Lorsque ma tâche personnelle était remplie je partageais les autres occupations de mes deux collègues et j’assurais à mon tour le service de garde à l’heure du déjeuner, car nos heures de présence étaient fixées de 9 heures du matin à 5 heures du soir. Il y avait aussi avec nous un expéditionnaire des cadres du Ministère, quelque vieux gendelettre (poète je crois), qui réalisait parfaitement le type du rond de cuir de Courteline : il arrivait à 11 heures, mettait ses manches de lustrine, tisonnait son feu, taillait ses plumes d’oie et ses crayons et, cela fait, allait voir ses collègues de la Direction du Personnel ou de la Direction des Affaires criminelles qui se trouvaient dans le même bâtiment que le Sous Secrétariat ; il ne revenait que vers 2 ou 3 heures pour expédier les quelques lettres qu’il avait à copier, puis il recommençait à l’inverse ses opérations du matin et partait à 5 heures.
. Mes camarades avaient choisi comme pension un restaurant de la rue de Lille, fréquenté surtout par des officiers ; je déjeunais avec celui qui n’était pas de garde et nous dinions ensemble ; nous payions 200 francs par mois.
Au jour de l’an tout le personnel du Ministère fut présenté par le Sous Secrétaire d’Etat à Mr Dufaure, Garde des Sceaux. A cette occasion, nous reçûmes mes camarades et moi une gratification de 200 francs ; c’est la seule rémunération en argent que nous eûmes pendant notre passage au Ministère ; nous eûmes aussi, mais rarement, des places pour les théâtres ; je me rappelle avoir vu Sarah Bernhardt, jouer Zaïre en matinée à la Gaité ; c’était l’époque où l’on s’amusait à discuter la question de savoir si elle avait ou non de la poitrine et qu’une chute imprévue fit sortir ses seins de son corsage et amena les cris : « elle en a ».
A suivre
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Anecdote inattendue et pourtant très révélatrice d'une époque !
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
La voici:
Après le jour de l’an, la vie administrative devint plus agitée par suite des évènements politiques ; il fut question de grâces pour les condamnés de la Commune et ceux de la rébellion d’El Mokrani. Il y eut surtout la chute du Ministère et le départ de Savary.
C’était au mois de février 1879 ; Mr le Royer devint Garde des Sceaux et Mr René Goblet Sous Secrétaire d’Etat ... L’une des premières tâches du Ministère était l’épuration des Parquets, qui n’avait pas été faite après le 16 mai ; il y eut des coupes sombres et de nombreuses compétitions en conséquence.
[Mon grand oncle obtient le poste de substitut au Tribunal de L.]
Il précise: J’avais un traitement de 2700 francs au lieu de 2400 francs, ce qui déduction faite des 5 % de la retraite, me donnait 214 ou 216 francs par mois.
.[Il évoque ses collègues]:
Le Proc. Mr Durand, n’était pas un méchant homme,.... Mais c’était un politicien et non un magistrat, il n’apportait aucun intérêt à l’exercice de ses fonctions et attendait une occasion pour entrer au Parlement ; et, en effet, après avoir été, au printemps de 1880, nommé en avancement au Parquet du Mans ,il fut élu Député de l’arrondissement de Romorantin.
...Il allait très fréquemment à Paris ; pendant quelque temps il me donnait son adresse pour que je pusse le prévenir s’il survenait une affaire importante, mais lorsqu’il eut été dérangé plusieurs fois, sur des appels du Proc. Général que je lui avais transmis, et pour des questions de peu d’intérêt il me déclara qu’il ne se dérangerait plus et qu’il me priait de le remplacer à Rouen. J’eu ainsi des relations directes avec le Proc. Général et ces relations étaient assez fréquentes parce que les Chefs de la Cour savaient que le chemin de fer, alors Compagnie de l’ouest, donnait aux Magistrats du Parquet, des cartes de circulation pour aller au Chef lieu de la Cour et à celui de la Cour d’Assises et qu’ils n’avaient pas à craindre que ces déplacements fussent onéreux pour leurs subordonnés. Mr Pour-Franklin, le Proc. Général préférait ces entretiens de vive-voix à la correspondance ;
A suivre
Après le jour de l’an, la vie administrative devint plus agitée par suite des évènements politiques ; il fut question de grâces pour les condamnés de la Commune et ceux de la rébellion d’El Mokrani. Il y eut surtout la chute du Ministère et le départ de Savary.
C’était au mois de février 1879 ; Mr le Royer devint Garde des Sceaux et Mr René Goblet Sous Secrétaire d’Etat ... L’une des premières tâches du Ministère était l’épuration des Parquets, qui n’avait pas été faite après le 16 mai ; il y eut des coupes sombres et de nombreuses compétitions en conséquence.
[Mon grand oncle obtient le poste de substitut au Tribunal de L.]
Il précise: J’avais un traitement de 2700 francs au lieu de 2400 francs, ce qui déduction faite des 5 % de la retraite, me donnait 214 ou 216 francs par mois.
.[Il évoque ses collègues]:
Le Proc. Mr Durand, n’était pas un méchant homme,.... Mais c’était un politicien et non un magistrat, il n’apportait aucun intérêt à l’exercice de ses fonctions et attendait une occasion pour entrer au Parlement ; et, en effet, après avoir été, au printemps de 1880, nommé en avancement au Parquet du Mans ,il fut élu Député de l’arrondissement de Romorantin.
...Il allait très fréquemment à Paris ; pendant quelque temps il me donnait son adresse pour que je pusse le prévenir s’il survenait une affaire importante, mais lorsqu’il eut été dérangé plusieurs fois, sur des appels du Proc. Général que je lui avais transmis, et pour des questions de peu d’intérêt il me déclara qu’il ne se dérangerait plus et qu’il me priait de le remplacer à Rouen. J’eu ainsi des relations directes avec le Proc. Général et ces relations étaient assez fréquentes parce que les Chefs de la Cour savaient que le chemin de fer, alors Compagnie de l’ouest, donnait aux Magistrats du Parquet, des cartes de circulation pour aller au Chef lieu de la Cour et à celui de la Cour d’Assises et qu’ils n’avaient pas à craindre que ces déplacements fussent onéreux pour leurs subordonnés. Mr Pour-Franklin, le Proc. Général préférait ces entretiens de vive-voix à la correspondance ;
A suivre
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
La Gendarmerie m’avait amené un homme qu’elle avait arrêté comme se trouvant en état de vagabondage, c'est-à-dire comme n’ayant pas de domicile connu, ni de profession ni de moyens d’existence ; or cet homme produisait un certificat constatant qu’il avait quitté l’avant-veille son emploi de maitre valet dans une ferme de l’arrondissement d’Evreux, après paiement de ses gages qu’il avait sur lui. Dans ces conditions le délit de vagabondage n’existait pas et j’allais remettre l’homme en liberté quand le secrétaire du Parquet s’approche de moi pour me dire à voix basse que la Loi de Vendémiaire an V, permettait aux Procureurs de placer pendant 5 jours sous mandat de dépôt les individus inculpés de vagabondage. Son expérience lui avait fait discerner quelque chose de suspect dans l’attitude de l’homme arrêté, et il ne s’était pas trompé. En effet, après avoir fait conduire l’inculpé à la maison d’arrêt, je demandai des renseignements à Evreux et je reçus immédiatement un mandat d’amener sous la prévention de viol et de meurtre. Je le fis venir devant moi comme l’exigeait la Loi et il reconnut que le mandat s’appliquait bien à lui. Il m’explique qu’après avoir réglé avec sa maîtresse, et en bons termes, les gages qui lui étaient dus, les avoirs reçus, ainsi que le certificat habituel elle lui avait offert le café et naturellement du calvados etc… qu’ils avaient bu et plaisanté ensemble, que les plaisanteries de la femme lui avaient paru des invites et qu’alors il avait essayé de la prendre, mais qu’elle s’était défendue, et l’avait menacé d’une plainte à la Gendarmerie ; qu’ivre comme il l’était il l’avait saisie à la gorge et qu’il l’avait trop serrée…L’instruction eu lieu à Evreux et il fut condamné aux Assises ; je ne crois pas que, à raison de ses aveux et des circonstances qu’il invoquait, il l’ait été à la peine de mort.
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
On constate, en parlant des uns et des autres, que les mœurs ont peu changé. Les hommes politiques occupent des fonctions d'attente dont ils se séparent à la moindre occasion pour le poste qu'ils visent...
Ah les belles sinécures !
Ah les belles sinécures !
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Lupain ? Tu es toujours avec nous ?
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Bonjour et bonne année
Je m'étais éloigné, croyant n'intéresser personne
Voici la suite:
.<<... Une fois je vis arriver au parquet un mari qui y conduisait sa femme ; il m’explique qu’il savait que celle-ci s’était donnée à un amant, dans la cours d’une auberge ; ... Je répondis que je comprenais qu’il n’avait pas l’intention de faire condamner sa femme pour adultère, que dans tous les cas je ne la citerais pas devant le Tribunal correctionnel, et que ce qu’ils avaient à faire c’était lui de pardonner et elle de se mieux conduire.
Une autre fois c’était un mari seul cette fois, qui venait demander au Procureur de charger la Gendarmerie de rechercher sa femme et de la ramener au domicile conjugal qu’elle avait quitté. Le secrétaire du Parquet me conseille avec sagesse de lui répondre, que les gendarmes pouvaient en effet ramener sa femme au domicile conjugal, mais que comme ils n’y pourraient rester à la garder, il lui serait facile de le quitter à nouveau, qu’il lui appartenait de recourir à d’autres moyens.
Je me souviens aussi d’une mère de famille qui vint me dire que sa fille, fiancée, avait donné une boucle de cheveux à son fiancé ; qu’un ami de celui-ci lui avait affirmé que ce n’était pas des cheveux, mais des poils provenant d’une autre partie du corps ; elle se plaignait vivement de ce qu’elle considérait comme une affreuse diffamation et me demandait de poursuivre le diffamateur en police correctionnelle. Je lui observai que je ne pouvais exercer l’action publique pour une question aussi délicate et que je lui laissais le soin de la poursuite. Je sais bien que les gens du peuple ont une tendance naturelle à se procurer des consultations gratuites et que le Procureur doit se défendre du rôle d’avocat conseil qu’ils veulent lui faire prendre, car les renvoyant à la Commission d’assistance judiciaire, je savais aussi qu’ils vont jusqu’à le considérer comme un confesseur, mais je me sentis très mal à mon aise, quand je me suis vu conduit dans des détails aussi intimes. >>
Je m'étais éloigné, croyant n'intéresser personne
Voici la suite:
.<<... Une fois je vis arriver au parquet un mari qui y conduisait sa femme ; il m’explique qu’il savait que celle-ci s’était donnée à un amant, dans la cours d’une auberge ; ... Je répondis que je comprenais qu’il n’avait pas l’intention de faire condamner sa femme pour adultère, que dans tous les cas je ne la citerais pas devant le Tribunal correctionnel, et que ce qu’ils avaient à faire c’était lui de pardonner et elle de se mieux conduire.
Une autre fois c’était un mari seul cette fois, qui venait demander au Procureur de charger la Gendarmerie de rechercher sa femme et de la ramener au domicile conjugal qu’elle avait quitté. Le secrétaire du Parquet me conseille avec sagesse de lui répondre, que les gendarmes pouvaient en effet ramener sa femme au domicile conjugal, mais que comme ils n’y pourraient rester à la garder, il lui serait facile de le quitter à nouveau, qu’il lui appartenait de recourir à d’autres moyens.
Je me souviens aussi d’une mère de famille qui vint me dire que sa fille, fiancée, avait donné une boucle de cheveux à son fiancé ; qu’un ami de celui-ci lui avait affirmé que ce n’était pas des cheveux, mais des poils provenant d’une autre partie du corps ; elle se plaignait vivement de ce qu’elle considérait comme une affreuse diffamation et me demandait de poursuivre le diffamateur en police correctionnelle. Je lui observai que je ne pouvais exercer l’action publique pour une question aussi délicate et que je lui laissais le soin de la poursuite. Je sais bien que les gens du peuple ont une tendance naturelle à se procurer des consultations gratuites et que le Procureur doit se défendre du rôle d’avocat conseil qu’ils veulent lui faire prendre, car les renvoyant à la Commission d’assistance judiciaire, je savais aussi qu’ils vont jusqu’à le considérer comme un confesseur, mais je me sentis très mal à mon aise, quand je me suis vu conduit dans des détails aussi intimes. >>
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
C'est très intéressant ce que je lis. Pourquoi penses-tu Lupain que tu n'intéresse personne? Bon si tu ne parles que de ce sujet cela pourrait être possible mais il y a aussi des tas d'autres sujets dont tu peux parler et échanger. Il y a de très nombreuses rubriques qui pourraient aussi t'intéresser.
Frimousse73Membre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Supprimé
Dernière édition par lupain2 le Lun 18 Sep 2017 - 20:24, édité 1 fois (Raison : Supprimé)
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Lupain, je crois qu'il y a quelqu'un qui enquiquine le forum depuis assez longtemps et qui a fait plusieurs réapparitions à l'époque où tu t'es sans doute inscrit.
Il faut excuser Copernic s'il s'est montré trop prudent. Son rôle est de veiller à la tranquillité du site.
Je suis bien contente de retrouver le sujet des mémoires et j'espère que tu vas continuer leur publication.
Il faut excuser Copernic s'il s'est montré trop prudent. Son rôle est de veiller à la tranquillité du site.
Je suis bien contente de retrouver le sujet des mémoires et j'espère que tu vas continuer leur publication.
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Pareil pour moi. J'aimerais qu'on te fasse confiance. C'est vrai que quelques perturbateurs sont venus ici à plusieurs reprises et que c'est nuisible à l'ambiance du forum. Normal que les responsables soient méfiants.
Frimousse73Membre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Supprimé
Dernière édition par lupain2 le Lun 18 Sep 2017 - 20:25, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
[Mon g-oncle évoque ensuite quelques plaidoiries qu'il a eu à soutenir]:
Commis par l’Assistance judiciaire j’avais soutenu la demande d’une jeune fille, qui abandonnée enceinte par son amant le poursuivait pour rupture de promesse de mariage et lui demandait des dommages et intérêts.
Aux Assises, nommé avocat d’office par le Président j’avais défendu un accusé, qui m’avait mis dans une situation bien désagréable : .
Il s’agissait d’une accusation de viol. Lorsque j’allai voir l’accusé à la prison pour connaître ses moyens de défense il me dit qu’il avait toujours nié sa culpabilité et qu’il croyait qu’elle n’était pas établie, mais que, puisque j’étais son avocat, il pouvait bien me dire qu’il était effectivement coupable et il me demandait s’il devait avouer, ou non, devant la Cour d’Assises. Bien embarrassé pour lui donner un conseil sur un point aussi sérieux j’allai voir le bâtonnier et le priai de m’indiquer comment agir en pareille circonstance. « Expliquez à votre client, me dit-il, quelles seront les conséquences de son attitude ; s’il continue à nier, il court la chance d’être acquitté, mais il peut quand même être condamné et dans ce cas il le sera plus sévèrement que s’il avait avoué ; quant à vous, comme avocat, vous devez suivre la voie que votre client aura choisie, mais sans prendre son système de défense pour votre compte ;n’affirmez rien et bornez-vous à indiquer : mon client dit, mon client soutient, etc… » Je répétai à celui-ci ce que le Bâtonnier m’avait dit et il me déclara qu’il continuerait à nier et courrait sa chance. Je préparai ma plaidoirie en conséquence et j’abordai la barre avec assez de confiance ; l’accusé se défendit avec tant d’assurance que je commençais à espérer son acquittement, quand au moment même de me donner la parole, le Président interpellant l’accusé pour la dernière fois lui dit : « alors, vous persistez à nier ». Le malheureux ne comprit pas le mot persister et répondit toujours avec assurance : « non Mr le Président » ; « mais si vous ne persistez pas, vous avouez donc ? » L’accusé interloqué, me regarde, je ne devais rien lui dire et je restai impassible. « Allons, reprit le Président, vous avez raison d’avouer, c’est ce que vous avez de mieux à faire » ; et l’accusé fit des aveux complets. Quant à moi je n’avais plus qu’à rentrer ma plaidoirie et à me borner à demander l’indulgence que pouvaient justifier ces aveux tardifs.
Commis par l’Assistance judiciaire j’avais soutenu la demande d’une jeune fille, qui abandonnée enceinte par son amant le poursuivait pour rupture de promesse de mariage et lui demandait des dommages et intérêts.
Aux Assises, nommé avocat d’office par le Président j’avais défendu un accusé, qui m’avait mis dans une situation bien désagréable : .
Il s’agissait d’une accusation de viol. Lorsque j’allai voir l’accusé à la prison pour connaître ses moyens de défense il me dit qu’il avait toujours nié sa culpabilité et qu’il croyait qu’elle n’était pas établie, mais que, puisque j’étais son avocat, il pouvait bien me dire qu’il était effectivement coupable et il me demandait s’il devait avouer, ou non, devant la Cour d’Assises. Bien embarrassé pour lui donner un conseil sur un point aussi sérieux j’allai voir le bâtonnier et le priai de m’indiquer comment agir en pareille circonstance. « Expliquez à votre client, me dit-il, quelles seront les conséquences de son attitude ; s’il continue à nier, il court la chance d’être acquitté, mais il peut quand même être condamné et dans ce cas il le sera plus sévèrement que s’il avait avoué ; quant à vous, comme avocat, vous devez suivre la voie que votre client aura choisie, mais sans prendre son système de défense pour votre compte ;n’affirmez rien et bornez-vous à indiquer : mon client dit, mon client soutient, etc… » Je répétai à celui-ci ce que le Bâtonnier m’avait dit et il me déclara qu’il continuerait à nier et courrait sa chance. Je préparai ma plaidoirie en conséquence et j’abordai la barre avec assez de confiance ; l’accusé se défendit avec tant d’assurance que je commençais à espérer son acquittement, quand au moment même de me donner la parole, le Président interpellant l’accusé pour la dernière fois lui dit : « alors, vous persistez à nier ». Le malheureux ne comprit pas le mot persister et répondit toujours avec assurance : « non Mr le Président » ; « mais si vous ne persistez pas, vous avouez donc ? » L’accusé interloqué, me regarde, je ne devais rien lui dire et je restai impassible. « Allons, reprit le Président, vous avez raison d’avouer, c’est ce que vous avez de mieux à faire » ; et l’accusé fit des aveux complets. Quant à moi je n’avais plus qu’à rentrer ma plaidoirie et à me borner à demander l’indulgence que pouvaient justifier ces aveux tardifs.
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Comme quoi ... Ca doit être terrible pour un Avocat de savoir que son client est coupable et de devoir le défendre.
(Lupain pourrais tu mettre un avatar s'il te plait..)
(Lupain pourrais tu mettre un avatar s'il te plait..)
DoMiAdministratrice
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Tu vois Lupain2 que les extraits proposés sont lus !
J'ai bien apprécié les petits arrangements entre la Justice et le futur ministre !!!
Ces textes donnent le sentiment que la Justice à cette époque était plus humaine qu'aujourd'hui.
As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
Ce serait intéressant de comparer avec les chiffres d'aujourd'hui.
J'ai bien apprécié les petits arrangements entre la Justice et le futur ministre !!!
Ces textes donnent le sentiment que la Justice à cette époque était plus humaine qu'aujourd'hui.
As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
Ce serait intéressant de comparer avec les chiffres d'aujourd'hui.
DamkipikMembre de BREZOLAND
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Alors je continue:
<< La conduite du magistrat dans la vie ordinaire exige de la respectabilité : Mr D. paraissait s’inquiéter peu de la mienne ; heureusement pour moi, il y avait à côté de lui le Président H. qui observait religieusement le serment que, comme tous les magistrats, il avait prêté en entrant en fonctions « de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Il voulut bien m’entourer de ses conseils ... Je n’en citerai qu’un : j’avais accepté de dîner chez un avoué ; il me le reprocha paternellement en me faisant remarquer qu’un Membre du Parquet qui est chargé de la surveillance des Officiers Ministériels doit se garder d’avoir avec eux des relations de nature à diminuer son autorité ; il ajouta d’ailleurs, avec un petit ton ironique qui lui était familier que d’ailleurs l’avoué en question avait une fille et qu’un jeune magistrat doit se méfier d’invitations pouvant l’entrainer dans un milieu qui ne leur conviendrait pas.
Le Procureur m’avait engagé à prendre pension dans l’hôtel où il allait lui-même ; nous étions quatre pensionnaires : Mr D., un avocat, le Receveur de l’enregistrement et moi ; une salle nous était réservée.
Au cours d’une promenade, mes deux commensaux auront une idée fâcheuse que dans mon ingénuité et le désir de rendre service, je crus pouvoir accepter et réaliser. La conversation était tombée sur la vie privée du Procureur : le bruit courait que, quand il était à L., il sortait de chez lui le soir, traversait la rue et entrait dans une maison en face de la sienne ; une femme veuve y habitait avec une grande fillette et l’on disait que c’était une intrigante, de réputation douteuse qui cherchait à se faire épouser ou à faire épouser sa fille. Il fallait en prévenir le Procureur en ajoutant qu’il se compromettait ainsi et la magistrature avec lui. Je devais, disaient mes deux amis, remplir cette mission et j’eus la naïveté de le faire. Mr D. ne se fâcha point, du moins contre moi, et se borna à me charger de dire à ces Messieurs qu’ils se mêlaient de ce qui ne les regardait point. C’est peu de temps après, d’ailleurs qu’il fut nommé Procureur de 4ème classe ... et qu’il partit. La veuve et sa fille le suivirent. >>
PS As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
Non, aucune.
<< La conduite du magistrat dans la vie ordinaire exige de la respectabilité : Mr D. paraissait s’inquiéter peu de la mienne ; heureusement pour moi, il y avait à côté de lui le Président H. qui observait religieusement le serment que, comme tous les magistrats, il avait prêté en entrant en fonctions « de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Il voulut bien m’entourer de ses conseils ... Je n’en citerai qu’un : j’avais accepté de dîner chez un avoué ; il me le reprocha paternellement en me faisant remarquer qu’un Membre du Parquet qui est chargé de la surveillance des Officiers Ministériels doit se garder d’avoir avec eux des relations de nature à diminuer son autorité ; il ajouta d’ailleurs, avec un petit ton ironique qui lui était familier que d’ailleurs l’avoué en question avait une fille et qu’un jeune magistrat doit se méfier d’invitations pouvant l’entrainer dans un milieu qui ne leur conviendrait pas.
Le Procureur m’avait engagé à prendre pension dans l’hôtel où il allait lui-même ; nous étions quatre pensionnaires : Mr D., un avocat, le Receveur de l’enregistrement et moi ; une salle nous était réservée.
Au cours d’une promenade, mes deux commensaux auront une idée fâcheuse que dans mon ingénuité et le désir de rendre service, je crus pouvoir accepter et réaliser. La conversation était tombée sur la vie privée du Procureur : le bruit courait que, quand il était à L., il sortait de chez lui le soir, traversait la rue et entrait dans une maison en face de la sienne ; une femme veuve y habitait avec une grande fillette et l’on disait que c’était une intrigante, de réputation douteuse qui cherchait à se faire épouser ou à faire épouser sa fille. Il fallait en prévenir le Procureur en ajoutant qu’il se compromettait ainsi et la magistrature avec lui. Je devais, disaient mes deux amis, remplir cette mission et j’eus la naïveté de le faire. Mr D. ne se fâcha point, du moins contre moi, et se borna à me charger de dire à ces Messieurs qu’ils se mêlaient de ce qui ne les regardait point. C’est peu de temps après, d’ailleurs qu’il fut nommé Procureur de 4ème classe ... et qu’il partit. La veuve et sa fille le suivirent. >>
PS As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
Non, aucune.
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Deux éléments de réponse, avec ces remarques que mon g-oncle fait à propos d'un poste qu'il a occupé plus tard en Auvergne:Damkipik a écrit:.
As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
.
<< Il n’y avait point au parquet suffisamment d’affaires pour occuper un procureur et deux substituts même quand l’un de ceux-ci, M.de F.,mettait une heure pour écrire une lettre banale de quelques lignes ; il la recommençait 3 ou 4 fois, soit parce qu’il n’avait pas laissé assez de blanc entre la date et le nom du destinataire, ou entre ce nom et le commencement de la lettre « j’ai l’honneur » soit parce qu’il avait employé une formule de salutation inopportune. Il insistait sur l’importance de cette formule et racontait avec complaisance l’histoire de l’un de ses collègues qui, ayant terminé une lettre au procureur général avec « l’assurance de sa considération » avait reçu, par l’intermédiaire du procureur cet avis : « dites à votre substitut que je n’ai que faire de sa considération et que j’ai droit à son respect ».
Et un peu plus loin:
<< Je n’ai rien à dire des audiences civiles, si ce n’est qu’elles étaient insuffisamment remplies quand le tribunal possédait deux chambres ; il m’est arrivé, assistant à celle tenue par le Président D., de l’entendre dire : « il n’y a pas d’affaires prêtes et il fait beau, allons à St Jacques boire un verre de vin blanc ».
Invité- Invité
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
Damkipik a écrit:Tu vois Lupain2 que les extraits proposés sont lus !
J'ai bien apprécié les petits arrangements entre la Justice et le futur ministre !!!
Ces textes donnent le sentiment que la Justice à cette époque était plus humaine qu'aujourd'hui.
As-tu une idée du nombre de dossiers à traiter à l'époque et le nombre de juges en place alors ?
Ce serait intéressant de comparer avec les chiffres d'aujourd'hui.
D'ailleurs ce serait sympa de laisser un émoticonnes ou un mot pour montrer que l'on a lu, ça encourage le membre à continuer.
DoMiAdministratrice
Re: Mémoires d'un magistrat d'un autre temps
J'aime beaucoup. L'histoire du type violeur et la façon dont le Président de la Cour le fait avouer est géniale. C'est intéressant ce que tu nous fais lire.
Frimousse73Membre de BREZOLAND
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